Je publie sur ce blog un vieux texte interne à mon ex-parti politique, car celui-ci a un intérêt pédagogique. Il montre comment les partis politiques et les ONG peuvent travailler de concert, pour obtenir des résultats sur des objectifs qu'ils partagent. Il fait aussi part d'une méthode de lobbying à l'échelle européenne à travers plusieurs exemples de campagnes que j'ai aidé à construire.
NB : Précisons pour une meilleure compréhension du texte que DDV et Pôle écolo étaient deux courants internes du parti, et que ce texte venait expliquer une des notions clefs de la motion d'orientation déposée par DDV pour l'Assemblée générale nationale de fin 2002.
Une définition et quelques exemples de "Convergences solidaires"
vendredi 22 novembre 2002, par Ludovic Bu
Au chapitre des alliances, la motion "Désir de Vert, pour un monde solidaire" préconise diverses pistes, dont ce qu’elle nomme des "convergences solidaires" et définit selon les termes suivants : "une dynamique permettant un enrichissement mutuel, dans le respect des différences, et [offrant] une perspective politique crédible aux abstentionnistes, aux électeurs protestataires et aux déçus de la gauche".
Lors de notre rencontre avec le Pôle Ecolo, qui nous demandait des éclaircissements sur ce point, Pierre Minnaert et moi-même avons proposé un début de définition : la convergence solidaire est un point essentiel des propositions de DDV. Il ne s’agit pas forcément d’une alliance électorale mais d’une volonté de fédérer tous les groupes qui ont des objectifs proches des nôtres. Il peut s’agir aussi bien des altermondialistes, du DAL, des défenseurs de l’environnement et des animaux que de forces politiques. Les convergences solidaires peuvent-être à configuration variable.
Ainsi, pour mieux illustrer notre propos, je me permettrai de donner deux exemples de campagnes auxquelles j’ai participé, et qui, à mon sens, sont des convergences solidaires.
Assurer une alimentation pour tous
En juin 2002, la FAO réunissait le Sommet Mondial de l’Alimentation. A cette occasion, les ONG du monde entier poussait à ce que les Etats s’engagent à assurer un accès à une alimentation saine et suffisante pour tous. Pour obtenir un tel résultat, il fallait travailler en amont. Certaines ONG avec lesquelles nous travaillons depuis des années ont pris contact avec moi, pour réfléchir aux moyens pour définir une position contraignante pour les représentants de l’UE lors de ce sommet. Nous avons mis en place un plan d’action simple, et rapide : pendant que les Verts au Parlement européen travailleraient à faire inscrire à l’agenda le vote d’une résolution sur le sujet (qui fixe la position officielle de l’UE), les ONG feraient pression sur les Députés européens pour qu’ils votent "dans le bon sens" (en les rencontrant, en leur envoyant des courriers et des pétitions). Après un travail de quelques semaines, nous avons obtenu que le Parlement européen vote une résolution, qui n’était pas trop mal : entre autre, elle dénonçait les méfaits des aides agricoles du Nord sur les agricultures du Sud ! Nous avions donc réussi notre action, sans pour autant que notre alliance ne fut publique (cela aurait été contre productif). Nous avions donc trouvé une convergence solidaire.
Lutter pour des licences obligatoires pour juguler le SIDA dans le Sud
Les Verts au Parlement européen (par la voix de Didier Claude Rod et la mienne, entre autres) bataillent ferme, depuis quelques années, pour l’accès aux soins dans les pays du Sud. Et tout particulièrement pour ceux qui permettent de juguler le développement du HIV (rappelons que 85% des séropositifs du monde sont dans l’Afrique subsaharienne !). Pour ce faire, il faut réunir plusieurs conditions, dont deux essentielles : il faut que les licences (brevets) sur les antirétroviraux soient données gratuitement par les labos pharmaceutiques aux pays atteints par la pandémie, et il faut offrir l’accès à des centres de soins pour tous les malades. Pour les licences, l’industrie pharmaceutique ne veut pas délivrer des licences volontaires (pour reprendre le vocable précisé dans l’article de l’OMC sur les brevets) et fait tout ce qu’elle peut pour que les licences obligatoires ne soient pas utilisées (licence obligatoire = un pays décrète qu’il passe outre les brevets, et peut donc produire des médicaments génériques sans payer de droits, ce qui en abaisse le coût, et les rends donc abordables pour les pays pauvres).
Pour contrer l’industrie pharmaceutique, plusieurs groupes ont constaté des convergences (autour de la solidarité planétaire) : Act Up, Médecins Sans Frontières, des ONG du Sud, Les Verts, un large groupe de pays ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique), etc. Nous avons tous lancé des attaques, à nos échelles respectives. Les Verts ont déposé des amendements partout où cela était possible, demandant l’application des accords de l’OMC, et donc la délivrance de licences pour produire des génériques pour une utilisation dans les pays du Sud. MSF a lancé une campagne mondiale de lobbying auprès des différentes institutions (UE, Banque Mondiale, OMS, OMC, ONU, etc). Act Up et leurs partenaires ont organisé plusieurs manifestations d’ampleur, et relayé la campagne de MSF. Etc. Au fur et à mesure du temps qui passait (grossièrement, de nov 99 à avril 2001), l’idée a commencé à faire son chemin.
En décembre 2000, la première, l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP - UE a adopté l’amendement déposé par les Verts, avec un vote rare : la plupart des pays ACP et Les Verts contre le reste de l’Europe ! Puis ce fut au tour de la Commission Développement du Parlement européen d’adopter ce même amendement (février 2001). Quelques mois plus tard, le Parlement d’Afrique du Sud passait au tribunal, attaqué par l’industrie pharmaceutique, parce qu’il avait voté une Loi ordonnant la délivrance de licences pour produire des génériques. Nous fîmes voter une résolution du Parlement européen apportant son soutien à son collègue africain. Dans le même temps, Act Up et son réseau d’ONG manifestaient au Cap, devant le tribunal. Et MSF fit agir ses réseaux dans les institutions. Le résultat fut probant : l’industrie retira sa plainte.
Depuis, plusieurs pays ont commencé à produire du générique, l’industrie pharmaceutique recule peu à peu et devient (à reculons) un des acteurs de la lutte contre le Sida en Afrique (principalement par des dons de médicaments), et l’OMC (à Doha) à précisé dans notre sens l’interprétation qu’il fallait avoir des accords sur les Brevets. Evidemment, la bataille n’est pas encore gagnée (car dans les couloirs, l’industrie pharmaceutique continue à faire pression sur les pays producteurs de génériques, aidée par les USA, et dans une moindre mesure par les représentants de l’UE). Et Pascal Lamy, qui était foncièrement opposé aux licences obligatoires il y a trois ans en est désormais un défenseur (publiquement, en tout cas). Même si la bataille n’est pas encore gagnée, nous avons là un bel exemple de mise en commun des différentes forces vers un objectif de solidarité internationale. On peut donc considérer cette campagne comme une "convergence solidaire".
Travailler ensemble, redonner goût au politique, pas forcément faire des alliances
L’objectif des convergences solidaires est de montrer aux abstentionnistes, aux électeurs protestataires et aux déçus de la gauche, ainsi qu’aux électeurs écologistes, que la fin de l’histoire n’est pas encore d’actualité, et que les combats politiques valent toujours la peine d’être menés. Il s’agit de reconstruire l’espoir d’un monde plus solidaire, en utilisant toutes les voies qui existent. L’objectif est simplement de les rendre plus efficaces, et donc de les coordonner.
A l’évidence, depuis quelques années, les Verts sont tombés dans le travers des partis politiques, qui ne réfléchissent plus qu’en terme d’alliances électorales. Or, il existe des multitudes d’autres possibilités, et entre autres celles avec les différents mouvements de solidarité, quelle soit internationale ou locale. A nous de montrer que la politique ne se limite pas qu’aux élections ! Ainsi, nous redonnerons goût à la politique à toute une génération et à différentes couches sociales qui se sont éloignées de l’action publique.