Voici l'un des rares textes dont je suis fier et auquel j'ai largement contribué pendant mon passage chez les Verts. Il s'agit d'une contribution au débat, écrite pour l'Assemblée générale nationale (une sorte de Congrès de tout le parti) de 2004, lorsqu'il s'agissait de renouveler un peu les têtes qui pensaient pour nous et dirigeaient le parti. D'ailleurs, en 2004, c'est Yann Wehrling, l'un de mes meilleurs amis, alors âgé de 33 ans, qui a été élu Secrétaire national (donc n°1 du parti).
Ce texte a été rédigé à une dizaine de mains, par des trentenaires pour la plupart parisiens. Il a ensuite été signé par le nombre requis d'adhérents pour pouvoir être porté au débat. Pour respecter leur anonymat "civil", je ne publie ici le nom d'aucun d'entre eux (mais si vous vous reconnaissez, vous pouvez demander, je rajouterai vos noms !). Comme pour tout travail collectif, les compromis furent nombreux. Et les coups de ciseaux également, car nous étions limités par un format imposé de 5.000 signes. Les parties du texte surlignés le sont par mes soins uniquement.
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Comme
de nombreux Verts, notre seule histoire politique, c’est l’écologie. Si
beaucoup de personnes partagent nos idées et nos utopies, elles ne vont
pas forcément voter, comme lors du 21 avril.
Comme nous voyons notre parti se perdre dans des débats d’hier et abandonner progressivement ses idéaux, nous tirons la sonnette d’alarme, pour que nos éléphants et notre mouvement ne finissent pas au cimetière de la politique.
Jeunes cons contre vieux cons ?
Suffit-il d’être le parti de France le moins âgé pour être jeune ? Pour nous, Goldman est avant tout un chanteur de variété ringard. Nous ne savons pas trop qui est passé par l’OCI ou le PCML. Les Trente Glorieuses sont aussi éloignées pour nous que le Front Populaire pour d’autres. Nous sommes arrivés avec le Sida, le chômage a hanté nos études et nous avons grandi avec la gauche caviar, celle qui a tué Fernando Pereira, celle des « affaires »...
Cela ne veut pas dire que notre engagement est désabusé. Il est au contraire plus exigeant et plus lucide.
Ecouter le monde
Nous nous engageons dans les nouvelles formes de lutte antipub, le pacifisme, la solidarité internationale, les dénonciations de la surconsommation, du tout bagnole, du nucléaire. Nous croyons en l’utopie de la décroissance, sans y voir un nouveau grand soir écolo, mais un moteur pour changer les comportements quotidiens. Les idéaux de l’écologie politique ne nous font pas peur, ils sont notre avenir.
Si nous sommes exigeant-e-s dans nos objectifs, nous n’en vivons pas moins dans le monde réel. Nous ne voulons pas plaquer un dogme sur le monde.
Réduire le débat à une opposition entre le Bien et le Mal nous empêche d’écouter tous les acteurs, notamment ceux qui ne sont pas structurés en lobbies. On ne peut parler du voile, sans entendre les femmes voilées. On ne peut parler de prostitution, sans entendre les prostituées.
Ecouter le monde, c’est aussi en finir avec le conservatisme de gauche. Le service public est menacé, pour le sauver, nous devons le renouveler plutôt que le vénérer aveuglément. Ni ultra-libéralisme de droite, ni immobilisme suicidaire : les Verts ont su développer des positions novatrices sur des sujets difficiles comme la réforme de la sécurité sociale, le partage du temps de travail, la responsabilité sociale environnementale des entreprises, la démocratie participative, le revenu d’existence... Inventons la suite !
Créer le rapport de force, pied à pied
Nous ne pensons pas que seuls les élues permettent de changer les politiques publiques. Le FN l’a malheureusement montré sur la sécurité ou l’immigration : on peut influencer un gouvernement sans avoir un seul élu.
Bien sûr nous souhaitons un groupe à l’Assemblée nationale, mais pas à n’importe quel prix. En 1997, les Verts ont bien fait de participer au gouvernement. Mais ils auraient dû le quitter en 2000 lorsque le souffle réformateur s’est éteint, quand le PS nous a assis sur le pic de Hubbert.
Dans nos relations avec les socialistes, il nous faut d’abord créer le rapport de force, sur le terrain et dans les urnes, et ne pas se laisser piéger dans des calculs de marchands de tapis.
Prêt-e-s à être élu-e-s et à assumer des responsabilités, nous pensons aussi que quand les conditions ne sont pas réunies pour obtenir des résultats, il faut savoir refuser les postes et poursuivre notre action sur d’autres terrains.
Et ce n’est pas qu’un discours de quinquas ex-PSU ou ex-Mao ou ex-Gnagna ! C’est un discours actuel, qui répond aux attentes des jeunes de gauche, qui demandent autre chose que les discours figés d’Arlette ou le sage ronronnement du PS.
De nouvelles têtes !
Pour nous, la parité et le non-cumul (dans le temps et dans les fonctions) ne sont pas solubles dans les ors de la République. Mais il ne suffit pas de proclamer « parité » ou « non-cumul » avec beaucoup de conviction. Il faut des mesures concrètes et symboliques : alterner et renouveler les candidatures féminines et masculines à la présidentielle, motiver les femmes pour qu’elles arrêtent de penser qu’elles n’en sont pas capables, soutenir le mouvement de jeunesse, transmettre les savoirs et les expériences des élues, se battre pour le statut des élues, réfléchir à leur « reconversion » après.
C’est bien le minimum pour renouveler le politique qui rebute toujours autant nos anciens copains de classe... Féminiser, rajeunir, changer les têtes -ce qui ne signifie pas les couper...-
Les Verts ne sont pas forcément des quinquas à moustaches ! Choisissons des candidats « hors normes » ou à l’image de notre électorat. Osons des campagnes décalées. Rigolons. Sachons être sérieux sans nous prendre au sérieux. Donnons envie d’adhérer aux Verts.
Nous voulons changer le monde maintenant, parce qu’il faut bien commencer par quelque part. Radicaux mais réalistes, c’est l’esprit des altermondialistes : ne pas renier les petits pas tout en ayant l’utopie de croire qu’un autre monde est possible et que nous le construirons dans celui-ci.
Extrait de la Tribune des Verts no.15, pp.93-94