L'Assemblée nationale est en pleine discussion sur la lutte contre les pirates d'internet, ceux qui téléchargent de la musique, des films et des jeux. Les arguments échangés relèvent bien souvent du fantasme. On imagine des jeunes (le diable réincarné pour certains élus un peu vieillot) qui s'approprient illégalement des tonnes de films, de disques et de jeux électroniques. On envisage des réseaux de distribution parallèle, nouveaux marchés noirs (la couleur des pirates, quel hasard ;-). On pérore sur l'illégalité et la perte des valeurs.
Je le dis haut et fort : je suis un pirate ! Je télécharge sans les payer des MP3 (mais plein
de sites proposent des téléchargements gratuits ET légaux). Mais j'achète aussi des centaines de disques, j'écoute en
stream, je vais à des concerts une à deux fois par semaine (mais
souvent, je vais à des concerts gratuits...), je fais des chroniques de
disques et de concerts. Bref, je suis un passionné qui consomme beaucoup
beaucoup de musique. Faut dire aussi que j'en écoute environ six heures
par jours en moyenne ! Suis-je pour autant un pirate, qui mérite punition ou pendaison (c'est à dire la coupure de mon accès internet voire de la prison) ?
Les ventes de CD s'écroulent, mais les chiffres de la musique ne sont pas mauvais dans l'absolu. Notamment au niveau de la fréquentation des salles de spectacles. Conjonction heureuse de l'avènement progressif de la société du loisir et de l'augmentation de la demande liée à la possibilité extrêmement facilitée de distribuer la musique. Notamment à ses amis. Or, on sait que le bouche à oreille est un élément majeur de l'achat (de disque ou de billet de concert). Comme il l'est pour le cinéma, d'ailleurs.
Le problème est surtout qu'il faut trouver un moyen de rémunérer les artistes tout en permettant le téléchargement gratuit ou légèrement payant, dont on a démontré qu'il permettait d'augmenter la fréquentation des salles de concerts (principale source de rémunération des interprètes, mais moins des compositeurs et des auteurs...). Et cela vaut principalement pour la musique. Car pour le cinéma, c'est une autre problématique !
Tiens, à propos de cinéma, la
question est finalement assez proche. Outre le bouche à oreilles qui rempli les salles, aujourd'hui, avec la multiplication des
équipements de qualité à domicile, et les pass abonnements dans les
grandes salles, le nombre de films visionnés est en hausse. Mais le
problème réside dans le modèle économique à réinventer. Ce qu'on n'a
pas -encore- réussi à faire. Par contre, il est flagrant que les acteurs majeurs sont de moins en moins les maisons de disques, et de plus en plus les tourneurs, à l'image de Live Nation. Idem dans le cinéma, où les distributeurs perdent leur chemise, pendant que les fournisseurs de Vidéo à la Demande se frottent les mains. On le voit, dans ces deux domaines, ceux qui perdent des avantages s'en émeuvent. Et comme ce sont eux qui ont pour l'instant le plus d'argent, ils payent des lobbyistes, qui vont voir des
élus qui n'ont jamais allumé un ordinateur de leur vie (1), qui n'y
comprennent évidemment pas grand chose, et qui votent donc des textes ayant cinq ans de retard. Que choisir parle même de ligne Maginot à propos de ce projet de loi !
On peut aussi se poser la question de savoir pourquoi on continue à télécharger. Désormais, quasiment tout est disponible en streaming (écoute en ligne) ! Et, dans les grandes villes françaises, il est très facile de trouver des disques à 1, 2 ou 3 € (sans parler du marché de l'occasion, sur internet notamment). Oui, ceux-ci sont vieux... de quelques semaines ou mois. Mais quelle importance ?
Ceci étant, je télécharge des morceaux sur des blogs, pour découvrir des artistes. Et grâce à ces blogs, j'ai ensuite acheté des dizaines de disques de qualité. Plutôt que de me faire avoir par un single aguicheur entendu régulièrement, suivi d'un album nul, uniquement enregistré parce que sans album, peu de promo du single possible. Là encore, le rôle de prescripteur a changé. Ce ne sont plus les playlists radio qui l'emportent, mais le web 2.0
La conclusion de ce débat à mes yeux serait qu'il est effectivement temps que l'industrie du disque, de la musique et du cinéma se mettent à l'heure des nouvelles technologies, plutôt que de rêver d'un monde qui n'existe plus. Et la loi Hadopi est un exemple de ce rêve (cauchemar pour tous les défenseurs des libertés individuelles). Pour l'anecdote (?), rappelons que le même débat a eu lieu en Suède. En est né un Parti des Pirates. Qui est crédité de plus de 21% aux prochaines élections européennes (2). Ca pourrait donner des idées à certains pour leur entrée en politique française !
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(1) J'en ai rencontré un, possesseur de Blackberry, qui était tout heureux de pouvoir... envoyer des sms avec !
(2) Ce n'est pas le lieu, donc je ne débattrai pas ici de la validité des sondages, dont je doute.
NB : Les dessins des Pirates pas effrayés par la loi Hadopi sont de Martin Vidberg, dont j'apprécie régulièrement les dessins. Merci à lui de nous autoriser à les utiliser librement.