George Frêche était-il une ordure, un démago ou un type très fin, réussissant à créer des scandales pour faire parler de lui tout en menant une politique volontariste dans sa ville puis sa région ? On connaissait surtout l'homme, décédé le 24 octobre dernier, à travers ses déclarations controversées sur Laurent Fabius, l'équipe de France de football ou encore les Harkis. Mais il a aussi été Maire de Montpellier puis Président de la Région Languedoc Rousillon. Avant de mourir à 72 ans, après avoir mené une dernière bataille électorale lors des régionales qui se sont tenues quelques mois plus tôt.
C'est pour mieux comprendre le personnage qu'Yves Jeuland a passé plus de six mois à ses côtés, le filmant dans des moments aussi inhabituels que le saut du lit, les longs trajets en voiture (pendant lesquels Frêche se révèle un amateur d'opérette) ou les discussions normalement fermées au public. C'est d'ailleurs l'une des réussites de ce film : les personnages principaux oublient totalement la caméra. Il n'y a qu'à deux reprises que Georges Frêche puis son directeur de la communication jettent un oeil à la caméra. Le reste du temps, le spectateur a l'impression d'être une petite souris qui assiste secrètement à la vie du leader maximo de Septimanie (1). Ce qu'à fait le réalisateur pendant tout le tournage, en le suivant partout, tout le temps et en le regardant sous tous les angles.
LE PRÉSIDENT : Bande annonce (Georges Frêche)
Le film s'ouvre sur quelques images qui placent le décor. L'Hôtel de Région, digne de Ryad ou Dubaï par son côté pharaonesque et bling-bling. Le Président dans son bureau, entouré d'une montagne de parapheurs, qu'il avale sans même jeter un oeil à ce qu'il signe. Son Directeur de Cabinet et celui de la Communication, l'un hyper actif, l'autre tout en retenue. Ces trois là seront les héros du film, omniprésents. Frêche, ventripotent, assis derrière son bureau, est un vieil iguane, figé. Autour de lui, son Dir Cab s'agite, parle, lance des défis, conseille aussi. Il lui glisse quelques formules chocs que Frêche reprend en boucle, dans les médias et lors de ses meetings, seuls moments où ce vieux bateleur, qui semble presque sénile, s'anime et revit. Il se réjouit aussi des controverses autour de ses déclarations : « on m'attaque, et hop, je gagne trois points dans les sondages », se réjouit-il, matois. La bagarre, il aime ça. Et provoquer, aussi.
Escorté de ses deux conseillers, Georges Frêche se révèle un formidable animal politique, un grand acteur rabelaisien. Au cours du film, il concède que s'il ne chantait pas si faux, il aurait préféré être chanteur plutôt que politique. Finalement, au regard de ses prestations, on le voit plutôt acteur ! Son Dir Cab le dit très bien : « il reste devant les caméras, impossible de l'en faire sortir ». Il joue un rôle, ne respectant que peu les règles officielles de la politique, comme il le reconnaît lui-même : « j'ai fait trente campagnes électorales. J'en ai fait trois intelligentes, je les ai perdues. J'en ai fait vingt-sept rigolotes, et je les ai gagnées ». Son Dir Cab est encore plus franc, lui qui explique aux têtes de listes départementales que « dans une campagne, il faut mentir » !
Une fois sorti de scène, Georges Frêche apparaît tel qu'il était lors de cette dernière campagne, dernière bataille victorieuse. Régulièrement au cours du film, le Président dit être épuisé, fatigué. Il semble parfois un peu las. Il ne sait pas faire autre chose, alors il continue. Mais lors de la soirée électorale, arrivé en vainqueur à son QG de bataille, Frêche a l'air vidé. On voit alors un vieillard au regard inquiet parce qu'il n'a pas de chaise pour s'asseoir. Il dit qu'il ne « va pas tenir ». Pendant la campagne, il dit à ses acolytes « on va avoir le baby blues après ça ». Un tel baby blues que ça l'a tué... Georges Frêche n'est pas mort sur scène, mais peu après le retour en coulisse !
Georges Frêche était-il un salaud ? Ou n'était-il que celui qui a le mieux compris le climat politique et économique de sa région ? Celle-ci semble avoir une étrange influence sur les gens, les amenant à avoir des pratiques et des déclarations plus tartignolesques les unes que les autres.
C'est par exemple dans cette région que les Verts ont été obligés de mettre leur entité régionale sous tutelle pendant des années, à cause de pratiques d'entrisme, de faux électeurs et d'accusations de manipulations ? Ces mêmes pratiques dénoncées au Parti socialiste, dont Frêche était l'un des représentants pendant de très longues années avant de s'en faire exclure suite à quelques déclarations déplacées ?
N'a-t-on pas également récemment entendu Louis Nicollin, influent entrepreneur local et également Président du club de foot de Montpellier, s'emporter « Ceux qui diront que la Ligue 1 est faible par ce que [mon club] est leader, je leur pisse à la raie ». On a connu de meilleures manières !
Le film ne répond pas à la question, se contentant de montrer l'homme dans toute sa splendeur, tout comme « Paris à tout prix », le précédent documentaire d'Yves Jeuland le faisait quant à l'élection municipale de 2001 qui vu Delanoé l'emporter sur Tibéri. Il laisse chacun libre de se créer son opinion. Ce que vous ne manquerez pas de faire en allant voir ce très bon film !
(1) Georges Frêche a longtemps défendu l'idée de changer le nom de sa Région en Septimanie, avant de reculer devant les protestations trop nombreuses.