Le 21 septembre dernier, la Fondation Norauto m'invitait à venir répondre à la question "quelles mobilités pour demain ? L'avenir de la voiture en question", dans le cadre de ses rencontres "Regards sur...". Cette soirée s'est déroulée devant un parterre de qualité, ultra qualifié : une centaine de cadres des différentes entreprises du Mobivia groupe (ex Norauto), les dirigeants des différentes entités mondiales, plusieurs actionnaires (dont Eric Derville, le fondateur), etc. Voici le compte-rendu qui a été fait de mon intervention, qui a duré un peu plus d'une heure.
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Ludovic BU est Président de l’association « Voiture & co ». Ancien associé de la société « Mobility+ », il occupe aujourd’hui les fonctions de conseiller auprès du Président de la SAEMES (Société Anonyme d’Economie Mixte d’Exploitation du Stationnement).
Que faire face à la saturation des réseaux ? C’est la question à laquelle tente de répondre le livre « Les Transports, la planète et le citoyen » dont Ludovic BU est un des co-auteurs.
Le contexte
Dans les années 60 et 70, de grands phénomènes structuraux ont entraîné la suppression des réseaux de transports en commun pour faire de la place à la voiture. Les deux chocs pétroliers des années 70 ont ensuite légèrement ralenti la progression de la voiture reine. Après les années 80 très « bling bling » et valorisant la voiture reine, les questions environnementales ont commencé à gagner les esprits dans les années 1990. Le discours est alors clairement anti-voiture tandis que les transports en commun sont plébiscités.
Depuis 2005, une nouvelle prise de conscience émerge : celle de la chaîne de transport quotidienne. On commence à ne plus considérer les déplacements hors des activités qui suivent et les motivent. On recherche désormais une complémentarité entre la voiture et les transports en commun. De nouvelles expériences ont également émergé ces dernières années comme la mise à disposition de vélos en libre service en centre ville. Les tramways refleurissent dans les grandes villes. Les expériences d’autopartage, de covoiturage, de location longue durée se multiplient. Le coût de la voiture devient peu à peu une problématique notamment pour les entreprises.
Une vraie évolution culturelle se fait jour : la voiture n’est plus considérée comme un marqueur social. Le sommet de la « bobo-attitude » est aujourd’hui d’aller au travail en vélo (équipé d’un siège bébé). De nouvelles tendances marketing apparaissent : les petites voitures ou les modèles « low cost » sont ainsi recherchés pour leur fonctionnalité. La notion de voiture servicielle perce dans les mentalités. Cela se traduit par exemple par le fait qu’une majorité de parisiens n’est plus propriétaire d’une voiture aujourd’hui.
En manque d’argent, les collectivités territoriales cherchent à maximiser leurs revenus issus de l’usage automobile. Le prix du parking pour les résidents à Paris a ainsi augmenté de 20 % en un an. Des évolutions économiques ont bouleversé le paysage de la mobilité. La SNCF a investi dans les transports en commun (Keolis), la mise à disposition de vélo (Effia), le co-voiturage (Green Cove Ingénierie). De son côté, Peugeot a lancé le concept Mu qui rassemble location de vélos, de voiture, de scooters.
Enfin, les lieux changent, comme les gares qui ressemblent de plus en plus à des galeries commerciales. Les parkings deviennent des plateformes multimodales. Etc.
Des faits têtus : les conséquences néfastes de la mobilité
Les mythes tombent aujourd’hui les uns après les autres : la voiture, outil de liberté, et les transports en commun, panacée de la mobilité. La société est aujourd’hui disloquée. Certaines personnes sont assignées à résidence par défaut, par méconnaissance des tarifs sociaux, par suppression de lignes…
Malgré de meilleurs résultats ces dernières années, l’insécurité routière fait encore 4000 morts par an et 80 000 blessés. En ce qui concerne les pollutions, si l’on considère l’analyse du cycle de vie des véhicules, la totalité des émissions de gaz à effet de serre liées à un véhicule doit être augmenté de 70 % par rapport aux émissions liés au fonctionnement du moteur.
En trente ans, les distances parcourues tous les jours ont augmenté de 30 %. Principales raisons de cet écart : l’étalement urbain et la multiplication des zones d’activités. Enfin, les transports représentent aujourd’hui 20 % du budget des ménages. C’était 4 % il y a quarante ans.
Le pourquoi de cette situation
Pour expliquer ces faits, Ludovic BU évoque les phénomènes du « toujours plus » : le tout voiture, le stationnement subventionné, les primes à la casse (créées en 1993 et régulièrement renouvelées) ; le « tout propriété » qui empêche de se relocaliser après un changement d’emploi, accroît les distances et encourage l’achat d’une voiture ; le « tout transport public » qui pousse tous les élus à vouloir leur tramway ; le « tout vitesse ».
Les fausses bonnes idées
Parmi les fausses bonnes idées, Ludovic BU liste : les transports gratuits qui ne bénéficient qu’à ceux qui les utilisent déjà ; le covoiturage en ligne qui est devenu le cache-sexe de l’absence de politiques publiques dédiées aux transports. La multiplication des sites de covoiturage dilue l’offre et ne permet pas d’atteindre les masses critiques nécessaires ; les téléphériques et offres de transport par bateaux qui ne seront quasi toujours qu’un moyen de transport pour touristes et que très rarement une solution de transport en commun ; des technologies ou idées salvatrices (la voiture électrique / intelligente, autolib’ Paris).
Les solutions : optimiser l’existant
La première chose est de proposer plusieurs choix. Il faut donc améliorer la multimodalité et l’intermodalité. Pour doper ces démarches, il faut faciliter l’interconnexion entre les modes et améliorer l’information. Le développement de centrales de mobilité, type portail internet, permet une information précise sur des trajets donnés. Les agences locales de mobilité sont elles la déclinaison physique des centrales de mobilité : un conseil personnalisé est donné aux usagers quand à leurs besoins de mobilité.
Il conviendrait de rouler moins ou rouler autrement avec les véhicules motorisés. L’autopartage constitue une solution intéressante, car il permet de n’utiliser un véhicule qu’en cas de besoin. Le propriétaire d’une voiture ne l’utilise que 4 à 6 % de son temps de vie ! Le covoiturage est un outil pertinent sur des trajets déterminés, comme de la longue distance, et de nouveaux usages dynamiques sont aujourd’hui envisagés.
Faut-il contraindre les usages ? A Bogota, le maire a décidé de n’autoriser l’accès au centre ville que 3 fois par semaine au même véhicule, pour dégager de l’espace à de nouvelles voies réservées au bus. Le péage urbain ? Le péage urbain peut constituer aussi une solution adaptée à certaines situations.
Enfin, quelques services supplémentaires dans les transports en commun pourraient améliorer leur attractivité. Le vélo ne doit plus seulement être une roue de secours. Il faut cesser de se focaliser sur les accidents, l’usage du vélo est finalement assez peu accidentogène. Les vélos à assistance électrique facilitent l’usage. Il faut aussi multiplier les aménagements urbains dédiés au vélo. La marche à pied doit être réhabilitée. La ville doit lui faire plus de place. Des solutions comme le Pédibus doivent être expérimentées. Tout cela semble constituer des micro-mesures. Mais avec 3 % de trafic en moins, l’autoroute A1 serait fluide.
Les solutions : changer de paradigme
Il faut apprendre à compter : la voiture coûte extrêmement cher. L’organisation territoriale de la France doit être optimisée, notamment entre les différentes collectivités. Il convient également de rétablir l’équité entre les différents usagers : enfants, piétons, automobilistes, camionneurs…
On peut également envisager de récompenser les comportements durables, comme en Belgique où l’on offre le prix d’un vélo à assistance électrique contre la mise à la casse d’un véhicule. Il faut également faciliter la mobilité à ceux qui en sont exclus. Enfin, il faut renforcer la concertation : écouter les besoins avant de poser les rails et penser globalement et non pas juste aux infrastructures.
« Exister sans bouger », ce ne sera plus une utopie dans 15 / 20 ans grâce au télétravail, à la décision de corréler versement transport et usages réels, à des abonnements aux transports publics tarifés selon l’usage. Pourquoi pas non plus, subventionner demain le rapprochement du logement des activités plutôt que les infrastructures de transport ?