La publication de « USA 1972 - A travers l'Amérique avec Mott The Hoople », de Ian Hunter, près de 40 ans après sa sortie initiale est l'oeuvre de passionnés. A tel point qu'on m'a fait promettre une chronique avant de m'envoyer le livre, « la maison d'édition ayant payé de sa poche personnelle tous les livres promos ».
Evidemment, vu que le groupe n'a jamais été très connu en France, et encore moins aujourd'hui, publier le journal de bord du chanteur de ce groupe écrit à l'occasion d'une tournée aux USA, entre novembre et décembre 1972, relève du pari éditorial !
J'étais un peu inquiet de prendre un tel engagement, parce que promettre de faire une chronique d'un « Journal d'une Rock'n'roll star » (le titre initial du livre), tout cela écrit par le chanteur d'un groupe dont je n'ai jamais entendu une note, c'est un peu comme déclarer sa flamme à une très belle inconnue découverte sur Meetic sur la foi de deux échanges torrides et de ses rares photos floues prises sur une plage tropicale... Après lecture, je ne regrette nullement de m'être engagé à l'aveugle.
Ian Hunter est donc le leader et chanteur de Mott The Hoople, un groupe anglais qui, en 1972, ne connaît pas encore la gloire de ses congénères pourtant partis sur les routes à la même époque. Un jour, la fée Bowie se penche sur leur berceau et décide que leur talent, réel selon les Philippe (Manoeuvre et Garnier) qui préfacent et postfacent l'ouvrage, doit être plus largement connu. Tony Defries, son manager, prend alors Mott sous son aile, et décide d'organiser une tournée aux USA pour les faire décoller.
C'est cette tournée que Ian Hunter raconte, jour après jour, transformant son odyssée en véritable livre d'Histoire sur le rock et l'Amérique des 70's, qui a « l'art et la manière de flatter la vue plutôt que le goût ». Le chanteur détruit aussi, avec un style incomparable, des mythes concernant les rockers. Non, Mott « ne donne pas dans les drogues dures et c'est très bien comme ça ». Notamment parce qu' « imaginer Phal [l'un des musiciens] sous acide fout une trouille pas possible » à Ian Hunter !
Dans le groupe, on ne profite pas non plus des groupies, ni ne prétend « que la limo était pleine de gonzesses et qu'on a fait la bringue toute la nuit, et qu'il s'est passé tout un tas de trucs pas catholiques ». Non, après les concerts, on rentre sagement à l'hôtel, se coucher, parce que tout le monde est fatigué. Et marié !
L'argent non plus ne coule pas à flot. Pour tourner, il y a « trois sources de fric » : le bailleur de fonds, « qui veut alléger ses impôts », le manager, qui joue avec les groupes de rock comme on « parie sur des chevaux de courses », et « le gars de la maison de disque (...), comme l'épicier, constamment à la recherche de produits qui ne vont pas pourrir trop vite après achat » ! Et une fois tous ceux-là, le tourneur et les frais de tournée payés, Ian Hunter juge qu'il ne reste plus rien pour lui et ses potes du groupe. A tel point qu'il suggère que « la prochaine fois que verrez votre idole montante qui passe sur la route à plein tube dans sa Jensen (1), réfléchissez-y à deux fois. Il est probable qu'il l'ait achetée à crédit, probable aussi qu'il soit endetté jusqu'au cou, et probable qu'il n'ait même pas de quoi se payer une bière ».
Côté rock, offrir de bonnes chansons à son public n'est pas si simple qu'on le pense : « il ne suffit pas de les écrire, il faut leur trouver des arrangements, les produire, les mixer, les transférer, et les coucher sur disque. Les chances d'obtenir exactement ce que vous voulez sont proches de zéro »...
On découvre aussi au fil du livre qu'à l'époque, rien n'est aussi calé qu'aujourd'hui. On fait jouer les groupes au petit bonheur la chance, ne les programmant souvent qu'au dernier moment, sans autre promesse que celle de jouer devant un public. L'ordre de passage, les temps de présence sur scène, les conditions en cas d'annulation se décident quasiment en temps réel. Et il faut quelques fois en venir aux mains pour avoir gain de cause... Très loin des festivals actuels où tout est calé des mois à l'avance, à la minute près (sauf bagarre entre frères quelques minutes avant le concert, et split du groupe en direct !).
En 1972, les avions ne volent pas aussi souvent et aussi facilement qu'aujourd'hui. Alors, il y a des jours où il faut attendre. Et c'est long lorsqu'on est un rocker ! On écume les boutiques de prêteurs sur gages, le passe temps favori des Mott, à la recherche de guitares. On ère dans des villes moyennes, dans le froid (on est juste avant Noël), on s'ennuie aussi. Ce que ne fait pas du tout le lecteur, qui dévore « USA 1972 » d'un seul bloc. On aimerait pouvoir en dire autant de tous les journaux de rock stars parus ces dernières années !
(1) Voiture de sport des années 70.