A l'occasion du festival Factory, je ressors une chronique inédite d'un concert de Leïla en 2008, dans le cadre du festival. Puis de ces deux suivants, en 2009.
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Amateur de Leïla et de ses musiques biscornues depuis la sortie de ses premiers albums, ses huit ans de silence musicaux m'ont semblés très longs. J'ai même cru que son inspiration s'était tarie, et que je n'aurais plus le plaisir de pouvoir profiter de ses bleeps et autres loops magnifiquement orchestrés. C'est pourquoi, pour prévenir une éventuelle nouvelle période de disette sonore, je suis allé la voir trois fois en quelques mois (La Cigale, le 11 octobre 2008; Le Café de la Danse, le 23 février 2009 et à l'occasion des 20 ans de Warp, à la Cité de la Musique, le 9 mai 2009).
A chaque fois, j'ai oscillé entre ravissement et énervement. Plaisir des oreilles, maltraitées par un volume toujours poussé à son maximum mais remplies de sons inventifs et riches. Mécontentement des yeux, devant ces scènes toujours beaucoup trop grandes pour une Leïla physiquement minuscule, nerveuse et retranchée derrière une immense console et deux baffles de retours dont elle dépasse à peine. La présence de multiples chanteurs se succédant sur scène au gré des titres comme dans un télé-crochet ne suffira pas à remplir l'espace. Ni les projections, d'une richesse visuelle pourtant toujours renouvelée.
A la Cigale, le concert commence par une longue intro, rideau fermé. Puis, à son ouverture, on découvre une scène quasi vide, l'immense table de mixage de Leïla se trouvant au fond de celle-ci. Une écran géant permet la projection d'images illustrant l'univers féérique tendance borderline de l'Iranienne. Au Café de la Danse et à la Cité de la Musique, le son sera parfois beaucoup plus industriel que dans la salle de Pigalle, avec un petit côté 90's, ressemblant partiellement à la musique la plus dure que produisaient Aphex Twin ou Squarepusher. Elle y jouera également quelques nouvelles chansons, prometteuses d'un probable nouvel album à venir ?
Pendant ses concerts, Leïla marche de long en large, tel un tigre en cage, derrière ses instruments. Elle lâche des sons stridents qui attaquent nos oreilles, suivis de basses qui nous collent les poumons à la colonne vertébrale. On fantasme sur une armée de fantassins allant au pas, envahissant des contrées ennemies. D'ailleurs, avec ce défilé de chanteurs, dont une habillée telle une martienne, on se croit totalement dans un cabaret of freaks digne des meilleurs foires foraines.
Leila @ la Cigale - Festival Factory |11.10.2008 : toute la nervosité derrière la console !
Comme sur ses albums, Leïla alterne ces titres puissants, sorte de tempêtes musicales, à d'autres aux petites mélodies légères, sussurées, presque contemplatives, mais rapidement couvertes par des rythmiques qu'on imagine avoir entendu lors du passage de tornades dans les tropiques. L'univers de l'artiste est tordu, toujours à deux doigts de la rupture. Leïla prend un malin plaisir à nous perdre dans son labyrinthe, en superposant des éléments qui ne vont pas ensemble de prime abord, mais qui se mélangent parfaitement dans son monde sonore sans repères. N'en déplaise à nos oreilles, trop habituées aux éternels couplet / refrain / couplet.
Les images diffusées sont de deux types. Par moments, des caméras placées au-dessus de Leïla sont utilisées pour diffuser des vues de ses doigts glissants d'un bouton de la console à l'autre, souvent à toute vitesse. Là encore, le geste est sec, tendu. Le reste du temps, ce sont des illustrations, tirées de son univers, de ses clips ou des pochettes de ses disques, qui sont cette fois animées. On est proche de l'univers déjanté d'un Tim Burton.
Parfois, les morceaux se terminent abruptement, coupés trop vite. A d'autres, de grands temps morts s'immiscent entre les morceaux, sans que Leïla ne prenne la peine de dire un mot pour combler. A la fin de ses concerts, c'est l'écran qui nous remercie de notre présence. L'artiste, elle, est déjà partie, esquissant à peine un petit geste de la main vers son public, pourtant en transe. On a l'impression que l'Iranienne est légèrement autiste, qu'elle a oublié qu'elle est sur scène (1). En deux mots, Leïla en concert, c'est un peu comme l'amour sadique : ça fait un peu mal, mais ça rend la douceur encore meilleure ! Et puis, ça change du train-train quotidien...
PS : au café de la Danse, Filastine ouvrait le bal. Logo enflammé à la Massive Attack, tablas à la Transglobal Underground, violoncelle et rythmiques massacrées à la Leïla, la filiation est digne ! A cela s'ajoute une dose d'ingéniosité, avec des instruments sortis de nulle part, comme ce caddy de supermarché transformé en percussions. L'ambiance est sombre, Filastine porte la cagoule, diffuse des images de caméras de surveillance, des chiffres qui défilent comme dans Matrix, des épaves. Tout cela est dur. Et provoque un étrange contraste avec la violoncelliste qui le rejoint sur quelques titres : frêle, avec son petit instrument dont elle joue comme une contrebasse, alors que lui est grand, très présent derrière ses ordinateurs, sa console, son caddy et ses tablas, occupant quasiment tout l'espace. Le concert se conclura sur une samba jouée en donnant des coups de pieds à son caddy ! Filastine a intégré le meilleur comme le pire de la mondialisation industrielle. Et il en a fait de la musique dub électronique.
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(1) Elle le dit d'ailleurs très bien dans cette interview